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5 septembre 2014 5 05 /09 /septembre /2014 13:47

Serge Joncour, dans « L’écrivain national » se met en scène en résidence (...surveillée!)  dans un bourg de campagne. Maladroit, il devient l'observateur de la population locale mais en fait il est encore plus observé par elle…  Lui-même a l’air d’avoir toujours un peu peur des mystères du bourg, attiré mais paniqué par une sombre histoire dont tout le monde parle. Mais les gens qu’il rencontre, (même ceux qui le chouchoutent : les libraires bienveillants ou l’hôtelière maternelle), sont eux aussi complètement apeurés par le potentiel scandale qu’il pourrait appeler sur eux, comme si l’écrivain était une sorte d’agent trouble du malheur – alors qu’en fait, ils l’ignorent, mais c’est plutôt un preux chevalier, dans le fond, même s’il n’en a pas le look. Car il a vraiment un aspect comique, ce romancier, il arrive tout boueux et systématiquement en retard à toutes les rencontres qu’on lui propose, il ne sait jamais trop comment se comporter, sent bien qu’il ne correspond pas à ce qu’on attend de lui, alors qu’il fait preuve de bonne volonté : il est en effet très docilement guidé par un emploi du temps qu’on a fixé pour lui. C’est un grand enfant, on lui laisse le droit de faire du vélo,  par exemple… Comme les marginaux du village, il est celui qui vient d’ailleurs, et ce n’est jamais une bonne chose pour se faire bien voir. C’est un peu l’albatros de Baudelaire, le poète gauche qui n’arrête pas de se casser la gueule dans la boue et crée des mini-catastrophes en chaîne. La scène avec le gendarme qui  l’arrête m’a fait franchement rire, surtout la perquisition avec les livres… on passe un bon moment!

 

La boue de ce coin de France, je la connais bien, justement, car je suis originaire de par là. Son Donzières fait penser à Donzy. Et il y a plus d’un an, au mariage de mon cousin, agriculteur, les gens du Morvan qui étaient mes voisins de table ont justement essayé de m’expliquer ce projet de scierie géante productrice d’énergie – exactement celui dont il est question dans le roman. J’ai eu l’impression de revivre cette conversation dans le livre de Serge Joncour, et d’être comme l’écrivain : en écoutant les gens autour de moi, je n’y comprenais rien, je n’arrivais pas à savoir si c’était une chose qui allait faire du bien à la région par les emplois qu’elle allait créer, un projet tout de même écologique, ou si c’était au contraire une catastrophe (forêt défigurée, camions, pollution…)  Il paraît qu’en ce moment, on n’en parle plus, me disent mes parents.

 

 

Le côté thriller campagnard, ces histoires de jerricans, de Commodore, tout ça m'a semblé être un simple prétexte: ce mystère qui a un côté "club des cinq" sert surtout à installer la peur, une atmophère qui a gagné tout le village aux esprits timorés et l'écrivain lui-même… L’histoire d’amour est un peu paradoxale: notre héros écrivain avec son côté "Pierre Richard" qui se prend les pieds dans le tapis est finalement celui qui réussit à séduire la fille la plus sexy du canton. Ce qui donne lieu d'ailleurs à une scène d'amour physique pas mal écrite du tout, où les choses sont présentées à la façon dont tout arrive au romancier dans le livre. C'est en effet un "enchaînement de circonstances", dans lequel il y a une ambiguïté un peu comique: est-ce que tout lui arrive par hasard? ou bien est-ce que finalement il dirige très bien tout ce qui lui arrive sans se l'avouer? .J’ai vu dans toute cette intrigue le prétexte de développer de façon assez drôle un personnage d’écrivain en décalage avec le monde qui l’entoure pour raconter son rapport à la fois aux lecteurs et à ses personnages, à la fois au coeur et à côté du monde.  A la fin, le romancier, mine de rien, se métamorphose presque en prêtre, celui qui reçoit une confession, et sacralise la parole.  Et ça, c’était vraiment intéressant.

 

Bref, lisez ce roman, il n'en a pas forcément l'air comme ça, mais il est drôle et subtil en même temps.

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  • : Effleurer une ombre
  • : Je suis conne comme la lune sans soucis, comme la lune béate qui luit à l'automne, et offre le sourire de sa face blême aux moutons rêveurs, aux filles endormies. Je suis pomme, en somme, et de ce mauvais fruit, sais-tu? La gloire des campagnes monotones (Par qui Dieu sur Eve jeta l'anathème jadis) pleine d'asticots et toute pourrie. Je suis vache mystique des champs nivernais, mâchouillant ma vie végétale dans la paix. Le temps passe, je rumine, bovine herboriste.
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