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6 septembre 2019 5 06 /09 /septembre /2019 13:33

D’emblée, Chimère, le titre du nouveau roman d’Emmanuelle Pireyre renvoie à cette idée d’un merveilleux contemporain, marqué à la fois par la technologie et l’intelligence collective, qui nimbait le livre précédent, avec une interrogation plus pessimiste, puisqu’une chimère est à la fois un animal hybride et un rêve impossible à atteindre.

Quand on a aimé Féérie générale, on est heureux de retrouver dans Chimère l’espièglerie poétique de son écriture, ainsi que le personnage de Batoule qu’on prendrait bien nous aussi dans nos bras, comme la narratrice-romancière quand elle la retrouve, tellement nous avions aimé ce personnage, même s’il n’a plus ici qu’un rôle secondaire.  Il y a tout de même des points communs entre Batoule et Wendy, fée gitane, nouvelle héroïne de ce roman où une communauté de personnages hétérogènes se forme : toutes les deux sont des jeunes femmes à fort caractère, a priori marginalisées, marquées par la religion. Tout semble les opposer au rationalisme auvergnat de la romancière, et pourtant dans les deux œuvres, la force du lien qui se crée entre elles est le pivot du roman.

 Pourtant bien des choses diffèrent entre les deux opus. J’ai trouvé que Chimère ressemblait à une comédie : sa forme est beaucoup plus linéaire, moins expérimentale – puisqu’il ne s’agit plus de numérique mais de rencontre IRL entre des gens tout aussi disparates - et donc plus facile à lire. On imagine d’ailleurs assez souvent son adaptation cinématographique lorsqu’on en lit les épisodes. C’est peut-être lié aux décors, aussi divers que cette luxueuse villa ultra contemporaine au bord d’un lac elliptique où Brigitte soigne son chagrin d’amour mexicain en élevant un chien étrange, une auberge dans le Morvan, le parlement européen, des studios de cinéma porno, ou un laboratoire anglais de biologie génétique. C’est aussi parce qu’Emmanuelle Pireyre a très souvent cherché à faire rire plus franchement son lecteur : ce n’est pas un humour au second degré, mais une vraie vis comica qu’elle déploie dans ce roman, qui tourne de plus en plus à la farce. Le personnage incroyable d'Alistair, dont je ne veux pas parler trop ici, parce qu'il faut conserver du suspens, laissera un souvenir à tous les lecteurs.

Si la romancière a opté pour un choix narratif plus fluide et classique, elle n’a pas abandonné son goût pour les croisements incongrus de sujets, la sérendipité, qui fait sa poésie. Une des forces d’Emmanuelle Pireyre réside dans la diversité des sujets de société qu’elle arrive à aborder : on parle dans ce roman à la fois du temps libre, des OGM, de la démocratie participative, de l’Europe, de la religion, des discriminations, des expulsions… Et pourtant tous les personnages sont liés, ils forment leur petite société hétéroclite : comment faire société en étant aussi différents ? Cette question qui se pose à l’échelle européenne, se pose aussi à l’échelle nationale. Emmanuelle Pireyre adopte, pour composer son roman, la méthode du « panel » diversifié propre aux enquêtes sociologiques, et l’expérimentation de démocratie participative européenne un peu surréaliste qui est racontée dans ce livre est une sorte de mise en abyme de son entreprise romanesque. On prend l'histoire bricolée de quelques uns pour en faire l'histoire de tous... On peut dire aussi qu’un roman d’Emmanuelle Pireyre en soi est une forme littéraire amusante de démocratie participative.

J’ai juste été un peu dérangée par l’importance que prend dans le roman le folklore gitan, et ses superstitions, dont on est amené à rire, même si le personnage de Wendy est très respecté par la romancière : parfois cela m’a mis mal à l’aise, mais c’était peut-être justement l’effet recherché. Bien sûr les valeurs défendues ici sont bien la rencontre de l’autre, et le personnage d’Emmanuelle Pireyre va composer grâce à Wendy des data-prières lyriques surréalistes du plus bel effet. Alors que Féérie générale se montrait très idéaliste, porté par les idées d’Henry Jenkins qui voit surtout dans le web un espace collaboratif extraordinaire, Chimère critique davantage la technologie, les OGM  et fait plus l’éloge d’une forme d’activisme d’intervention IRL.

Lisez ce beau roman, il me semble que tous ceux qui avaient trouvé la forme de Féérie générale un peu complexe pour eux seront moins déroutés devant Chimère, un roman très drôle qui nous parle d'aujourd'hui et peut-être de demain.

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  • : Effleurer une ombre
  • : Je suis conne comme la lune sans soucis, comme la lune béate qui luit à l'automne, et offre le sourire de sa face blême aux moutons rêveurs, aux filles endormies. Je suis pomme, en somme, et de ce mauvais fruit, sais-tu? La gloire des campagnes monotones (Par qui Dieu sur Eve jeta l'anathème jadis) pleine d'asticots et toute pourrie. Je suis vache mystique des champs nivernais, mâchouillant ma vie végétale dans la paix. Le temps passe, je rumine, bovine herboriste.
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