Ce film, "Ne croyez surtout pas que je hurle", de Franck Beauvais, est une expérience assez incroyable: il est constitué intégralement d'images empruntées à d'autres films, sur un texte autobiographique très beau, littéraire, dit sur un ton lancinant.Je ne me suis pas ennuyée un instant, tant les images sont originales, subtiles, amoureusement collectionnées par un dingue de cinéma qui panse ses blessures intérieures en les mettant à distance par l'écran de ces films. C'est beau et inédit, Franck Beauvais a inventé une forme. Cela se rapproche beaucoup d'une expérience de lecture: puisque le phrasé de la voix de l'auteur se déroule de façon très linéaire sans aspérité, et à l'écran, simultanément, on a la "concrétisation imageante" toujours inattendue de ses propos, comme quand notre imagination se fabrique des images parfois bizarres lorsqu'on lit un livre pourtant normal. Franck Beauvais arrive aussi à parler de la dépression, un moment de la vie normalement vide, sans événement, dont il arrive à faire un trop-plein. On est proche aussi du "data-art" avec cette accumulation de citations qui devient elle-même une oeuvre singulière, un peu comme "l'écriture sans écriture" de Kenneth Goldsmith, on a ici du "film sans filmer"... Mais bien une écriture d'auteur, très intime. Il y avait du monde dans la salle, à midi, pour un film étrange, j'ai l'impression qu'il fonctionne bien. Et cette poésie dépressive complètement folle a largement sauvé ma journée.